.1 OBJET D'ANTAN
Texte et photos: Corinne Daunar
CafĂ©,thĂ© ou chocolat ? Quâils soient cafĂ©, thĂ© ou chocolat, ces breuvages, ceux lĂ mĂȘme dont le passĂ© se souvient avec exotisme, ont toujours Ă©tĂ© associĂ©es Ă la gastronomie et Ă la convivialitĂ©. Incontournables des us et coutumes aristocrates et bourgeoises, ils sâinstallent aussi sur les tables prolĂ©tariennes, la consommation de ces boissons, pourtant rares en Europe, se matĂ©rialise dans lâapparition dâune vaisselle adaptĂ©e Ă leurs dĂ©gustations.
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asses, moulins, cafetiĂšres, services Ă cafĂ©, en disent long sur les rituels de sociabilitĂ© arrivĂ©e par les marques de lâhistoire jusquâĂ nous. Vous prendrez bien une petite tasse de thĂ©, dans ces Antilles dans les annĂ©es 50âŠ
Le festif temps du cafĂ© Au cĆur du logis, entourĂ© de la famille, un dĂ©jeuner de fĂȘte doit sâengager. Le festin, qui promettait dâĂȘtre mĂ©morable, sâest assurĂ© sur une table dressĂ©e avec soin et une cuisine Ă la hauteur du moment. Les agapes achevĂ©es, et comme il se devait, câest le cafĂ© et le thĂ© qui furent servis au salon. Pour reprĂ©senter ce dernier, câest dâailleurs plutĂŽt une infusion de peaux de citrons verts, dâanis, de citronnelle ou de basilic qui ravissait les tasses, pour faciliter la digestion, lutter contre les flatulences ou favoriser le sommeil. Cette scĂšne mĂ©morable, câest autour dâun ensemble singulier quâelle se vit et se revit, dĂšs que lâoccasion sĂ©lecte se prĂ©sente. Les boissons, rares ellesmĂȘmes, sont dâautant plus apprĂ©ciĂ©es quâelles sâoffrent en Ă©crin : des services finement ciselĂ©s et rehaussĂ©s dâun liserĂ© dorĂ© en porcelaine, vĂ©ritables trĂ©sors de guerres et de trousseaux, qui doivent marquer les hĂŽtes par la qualitĂ© de leurs dessins et la lĂ©gĂšretĂ© de lâouvrage. Parfois, chez les nantis, lâon recevait aussi lâaprĂšsmidi sur la vĂ©randa quâombrageait le manguier. Dans ce cas, câest une chocolatiĂšre en mĂ©tal argentĂ© campĂ©e
sur ses trois pieds et une cafetiĂšre en Limoges qui tenaient le moment. Lâon y refaisait le monde Ă sa façon, portant aux lĂšvres le breuvage chaud et sucrĂ©. Autres milieux, autres pratiques : Ă quelques encablures de lĂ , dans les foyers plus modestes, dans les mornes comme Ă la ville, la vaisselle, celle des vieux mariĂ©s, ne sortait que bien rarement du buffet, hormis pour cĂ©lĂ©brer les saints sacrements et le joudlan. Ces jours-lĂ , on y goĂ»tait des scĂšnes similaires : la grande table de la salle Ă manger sâhabillait de sa plus belle nappe, brodĂ©e, ajourĂ©e, anglaise, sur laquelle se bousculait tout un arsenal de contenants dĂ©diĂ©s.
Donnez-nous notre grain quotidien A lâinverse, pour lâordinaire, point de porcelaine ni mĂȘme de faĂŻenceries, mais du fer blanc et plus tard, lâincassable verre « Pyrex » vendu en service complet au passage du Syrien ou Ă lâunitĂ© dans le lolo du quartier. Plusieurs poignĂ©es dâannĂ©es plus loin, câest le bol en « plastique dur » qui fait son apparition. Pourtant aujourdâhui, ce sont les bien tasses en « Arcopal », des annĂ©es qui colonisent dĂ©sormais, les paillasses. Fleuries, pratiques, rĂ©sistantes et bon marchĂ©, elles connaissent un franc succĂšs et ont dĂ©jĂ bercĂ© de nombreuses gĂ©nĂ©rations⊠Antan lontan, bien avant ces modernes artefacts, il nâĂ©tait pas rare de voir pousser un cafĂ©ier dans son jardin. Les grains, une fois bien grillĂ©s, Ă©taient moulus dans les moulins Ă
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cafĂ© manuels. Parfois les pois dâangole torrĂ©fiĂ©s se substituaient aux plaisirs cafĂ©inĂ©s. Trois ou quatre bons tours vigoureux de manivelle suffisaient Ă rĂ©colter dans son tiroir une poudre noire dĂ©diĂ©e aux prĂ©mices dâune belle journĂ©e. Tout aussi incontournable, la fameuse cafetiĂšre en fer blanc qui nâavait de Grecque que le nom, se devait de trĂŽner au centre de la cuisine.
Vous reprendrez bien un peu de cafĂ© ? Il sâagissait bien dâun rituel auquel nul nâĂ©chappait et mieux valait-il ĂȘtre parmi les premiers Ă le consommer⊠ou bien lâon donnait du grain au fameux proverbe : « sa ki lĂ©vĂ© bonĂš kĂ© bwĂš bon kafĂ©, sa ki lĂ©vĂ©ta bwĂš tchĂČlĂČlĂČ Â». Les enfants eux aussi buvaient un grand bol de cafĂ© au lever. Cependant, il Ă©tait dâusage de le couper avec de lâeau, câĂ©tait alors le tchololo, ou dlo virĂ© qui frappait par petites lampĂ©es le palais. Aujourdâhui, la belle vaisselle de mĂ©mĂ© est plus souvent exposĂ©e sur les trĂ©teaux des vides greniers aux cĂŽtĂ©s des cafetiĂšres et des moulins Ă grains. Et pour une tasse de cafĂ©, il suffit le plus souvent dâappuyer sur un bouton. Pourtant ces boissons jadis dâexception restent les plus consommĂ©es dans le monde et assurent plus que jamais leur rĂŽle de lien social dans les foyers comme dans les salons de thĂ©, les restaurants et autres Ă©choppes populaires.