Magazine Maisons Créoles N°146 Guadeloupe

Page 16

.1 OBJET D'ANTAN

Texte et photos: Corinne Daunar

CafĂ©,thĂ© ou chocolat ? Qu’ils soient cafĂ©, thĂ© ou chocolat, ces breuvages, ceux lĂ  mĂȘme dont le passĂ© se souvient avec exotisme, ont toujours Ă©tĂ© associĂ©es Ă  la gastronomie et Ă  la convivialitĂ©. Incontournables des us et coutumes aristocrates et bourgeoises, ils s’installent aussi sur les tables prolĂ©tariennes, la consommation de ces boissons, pourtant rares en Europe, se matĂ©rialise dans l’apparition d’une vaisselle adaptĂ©e Ă  leurs dĂ©gustations.

T

asses, moulins, cafetiĂšres, services Ă  cafĂ©, en disent long sur les rituels de sociabilitĂ© arrivĂ©e par les marques de l’histoire jusqu’à nous. Vous prendrez bien une petite tasse de thĂ©, dans ces Antilles dans les annĂ©es 50


Le festif temps du cafĂ© Au cƓur du logis, entourĂ© de la famille, un dĂ©jeuner de fĂȘte doit s’engager. Le festin, qui promettait d’ĂȘtre mĂ©morable, s’est assurĂ© sur une table dressĂ©e avec soin et une cuisine Ă  la hauteur du moment. Les agapes achevĂ©es, et comme il se devait, c’est le cafĂ© et le thĂ© qui furent servis au salon. Pour reprĂ©senter ce dernier, c’est d’ailleurs plutĂŽt une infusion de peaux de citrons verts, d’anis, de citronnelle ou de basilic qui ravissait les tasses, pour faciliter la digestion, lutter contre les flatulences ou favoriser le sommeil. Cette scĂšne mĂ©morable, c’est autour d’un ensemble singulier qu’elle se vit et se revit, dĂšs que l’occasion sĂ©lecte se prĂ©sente. Les boissons, rares ellesmĂȘmes, sont d’autant plus apprĂ©ciĂ©es qu’elles s’offrent en Ă©crin : des services finement ciselĂ©s et rehaussĂ©s d’un liserĂ© dorĂ© en porcelaine, vĂ©ritables trĂ©sors de guerres et de trousseaux, qui doivent marquer les hĂŽtes par la qualitĂ© de leurs dessins et la lĂ©gĂšretĂ© de l’ouvrage. Parfois, chez les nantis, l’on recevait aussi l’aprĂšsmidi sur la vĂ©randa qu’ombrageait le manguier. Dans ce cas, c’est une chocolatiĂšre en mĂ©tal argentĂ© campĂ©e

sur ses trois pieds et une cafetiĂšre en Limoges qui tenaient le moment. L’on y refaisait le monde Ă  sa façon, portant aux lĂšvres le breuvage chaud et sucrĂ©. Autres milieux, autres pratiques : Ă  quelques encablures de lĂ , dans les foyers plus modestes, dans les mornes comme Ă  la ville, la vaisselle, celle des vieux mariĂ©s, ne sortait que bien rarement du buffet, hormis pour cĂ©lĂ©brer les saints sacrements et le joudlan. Ces jours-lĂ , on y goĂ»tait des scĂšnes similaires : la grande table de la salle Ă  manger s’habillait de sa plus belle nappe, brodĂ©e, ajourĂ©e, anglaise, sur laquelle se bousculait tout un arsenal de contenants dĂ©diĂ©s.

Donnez-nous notre grain quotidien A l’inverse, pour l’ordinaire, point de porcelaine ni mĂȘme de faĂŻenceries, mais du fer blanc et plus tard, l’incassable verre « Pyrex » vendu en service complet au passage du Syrien ou Ă  l’unitĂ© dans le lolo du quartier. Plusieurs poignĂ©es d’annĂ©es plus loin, c’est le bol en « plastique dur » qui fait son apparition. Pourtant aujourd’hui, ce sont les bien tasses en « Arcopal », des annĂ©es qui colonisent dĂ©sormais, les paillasses. Fleuries, pratiques, rĂ©sistantes et bon marchĂ©, elles connaissent un franc succĂšs et ont dĂ©jĂ  bercĂ© de nombreuses gĂ©nĂ©rations
 Antan lontan, bien avant ces modernes artefacts, il n’était pas rare de voir pousser un cafĂ©ier dans son jardin. Les grains, une fois bien grillĂ©s, Ă©taient moulus dans les moulins Ă 

16 Magazine MAISONS CRÉOLES GUADELOUPE n°146

cafĂ© manuels. Parfois les pois d’angole torrĂ©fiĂ©s se substituaient aux plaisirs cafĂ©inĂ©s. Trois ou quatre bons tours vigoureux de manivelle suffisaient Ă  rĂ©colter dans son tiroir une poudre noire dĂ©diĂ©e aux prĂ©mices d’une belle journĂ©e. Tout aussi incontournable, la fameuse cafetiĂšre en fer blanc qui n’avait de Grecque que le nom, se devait de trĂŽner au centre de la cuisine.

Vous reprendrez bien un peu de cafĂ© ? Il s’agissait bien d’un rituel auquel nul n’échappait et mieux valait-il ĂȘtre parmi les premiers Ă  le consommer
 ou bien l’on donnait du grain au fameux proverbe : « sa ki lĂ©vĂ© bonĂš kĂ© bwĂš bon kafĂ©, sa ki lĂ©vĂ©ta bwĂš tchĂČlĂČlĂČ Â». Les enfants eux aussi buvaient un grand bol de cafĂ© au lever. Cependant, il Ă©tait d’usage de le couper avec de l’eau, c’était alors le tchololo, ou dlo virĂ© qui frappait par petites lampĂ©es le palais. Aujourd’hui, la belle vaisselle de mĂ©mĂ© est plus souvent exposĂ©e sur les trĂ©teaux des vides greniers aux cĂŽtĂ©s des cafetiĂšres et des moulins Ă  grains. Et pour une tasse de cafĂ©, il suffit le plus souvent d’appuyer sur un bouton. Pourtant ces boissons jadis d’exception restent les plus consommĂ©es dans le monde et assurent plus que jamais leur rĂŽle de lien social dans les foyers comme dans les salons de thĂ©, les restaurants et autres Ă©choppes populaires.


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.
Magazine Maisons Créoles N°146 Guadeloupe by Magazine Maisons Creoles - Issuu