CinĂ©ma -----> Lâentretien face camĂ©ra
PACIFIĂ
BENOĂT MAGIMEL Dans Pacifiction. Tourment sur les Ăźles dâAlbert Serra, un BenoĂźt Magimel comme on ne lâa jamais vu incarne De Roller, un haut-commissaire de la RĂ©publique française Ă Tahiti, complĂštement dĂ©phasĂ© alors que la rumeur dâune reprise des essais nuclĂ©aires se propage. Dans ce film fou et
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dĂ©sorientant, lâacteur brille en baratineur de premiĂšre. Celui que les journalistes ont longtemps appelĂ© « le prince du silence » nous reçoit dans sa maison du XVIe arrondissement et se livre Ă nous â entre deux caresses Ă sa chienne, Nova â sur sa jeunesse dâenfant-acteur Ă©bouriffĂ©, sa quarantaine apaisĂ©e et sa libertĂ© retrouvĂ©e.
On ne sait jamais trop quoi penser du personnage de De Roller. Au dĂ©part, on le soupçonne de cacher une Ă©ventuelle reprise des essais nuclĂ©aires aux habitants de lâĂźle. Puis on dĂ©couvre que lui-mĂȘme nâest au courant de rien. Avec Albert Serra, on a bossĂ© sur les contradictions. Je lui disais : « Il faut toujours semer plus le doute. » Je lui ai proposĂ© que le personnage porte des lunettes fumĂ©es : câest le mystĂšre, mais on entrevoit toujours son regard. Pour moi, De Roller, sans son costume croisĂ©, sans ses lunettes de soleil, câest un plouc. Il met tous ses accessoires et ça devient un acteur, toujours en train de se pavaner. Les gens de pouvoir, quelquefois, ils peuvent ĂȘtre sympas. Câest lĂ oĂč tu te fais
no 193 â novembre 2022
piĂ©ger, parce quâeux sont aguerris à ça. Il y a plein de gens qui les haĂŻssent, et eux vont les voir en disant : « Ăa va ? » Il y a une violence sexuelle gĂ©nĂ©rĂ©e par le pouvoir. Je me souviens dâune phrase qui mâavait choquĂ©e, que Dominique de Villepin aurait prononcĂ©e Ă propos de Nicolas Sarkozy : « Je vais le baiser avec du gravier ! » Mais De Roller, câest au-dessus, il baise mĂȘme plus. Il nâa plus besoin. Il est ailleurs. Le personnage de De Roller est complĂštement dĂ©sorientĂ©, perdu sur lâĂźle. Est-ce que vous lâĂ©tiez aussi au tournage ? Je travaillais avec une oreillette, comme ça Serra me soufflait des phrases. Câest un outil fabuleux, parce que ça permet de rester dans