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CHAPITRE XXVI.

La confiance d'Ataliba autorisait Alonzo à chercher dans son ame le secret de cette tristesse dont il le voyait consumé. «Inca, lui dit-il, j'appréhende que le danger qui te menace, et dont j'ai voulu t'avertir, ne t'ait frappé trop vivement.»

«Tu me soulages, lui dit l'Inca, en interrogeant ma tristesse. Je n'osais t'affliger; cependant j'ai besoin qu'un ami s'afflige avec moi. Écoute. Il s'agit de mes droits au trône que j'occupe, et d'où l'Inca, roi de Cusco, s'obstine à vouloir me chasser. J'aurais besoin, auprès de lui, d'un ministre éclairé, et d'un médiateur habile; et j'ai jeté les yeux sur toi. Veux-tu l'être?—Oui, répond Alonzo, si ta cause est juste.—Elle est juste; et tu vas toi-même en juger. Apprends donc quel fut le génie de cet empire dès sa naissance; dans quelle vue il a été fondé; et comment, destiné à s'agrandir sans cesse, il ne pouvait, sans s'affaiblir, n'être pas enfin partagé.

«Autrefois ce pays immense était habité par des peuples sans lois, sans discipline, et sans mœurs. Errants dans les forêts, ils vivaient de leur proie, et des fruits qu'une terre inculte semblait produire par pitié. Leur chasse était une guerre que l'homme faisait à l'homme. Les vaincus servaient de pâture aux vainqueurs. Ils n'attendaient pas le dernier soupir de celui qu'ils avaient blessé, pour boire le sang de ses veines[85]; ils le déchiraient tout vivant. Ils faisaient des captifs, et ils les engraissaient pour leurs festins abominables. Si ces captifs avaient des femmes, ils les laissaient s'unir ensemble, ou ils rendaient eux-mêmes leurs esclaves fécondes, et ils dévoraient les enfants.

[85] Voyez Garcil. liv. 1, chap. 12.

«Quelques-uns d'entre eux, par l'instinct de la reconnaissance, adoraient, dans la nature, tout ce qui leur faisait du bien, les montagnes mères des fleuves, les fleuves mêmes et les fontaines qui arrosaient la terre et la fertilisaient, les arbres qui donnaient du bois à leurs foyers, les animaux doux et timides dont la chair était leur pâture, la mer abondante en poissons, et qu'ils appelaient leur nourrice[86]. Mais le culte de la terreur était celui du plus grand nombre.

[86] Mama Cocha, mère mer.

«Ils s'étaient fait des dieux de tout ce qu'il y avait de plus hideux, de plus horrible; car il semble que l'homme se plaise à s'effrayer. Ils adoraient le tigre, le lion, le vautour, les grandes couleuvres; ils adoraient les éléments, les orages, les vents, la foudre, les cavernes, les précipices; ils se prosternaient devant les torrents dont le bruit imprimait la crainte, devant les forêts ténébreuses, au pied de ces volcans terribles qui vomissaient sur eux des tourbillons de flamme et des rochers brûlants.

«Après avoir imaginé des dieux cruels et sanguinaires, il fallut bien leur rendre un culte barbare comme eux. L'un crut leur plaire en se perçant le sein, en se déchirant les entrailles; l'autre, plus forcené, arracha ses enfants de la mamelle de leur mère, et les égorgea sur l'autel de ses dieux altérés de sang. Plus la nature frémissait, plus la divinité devait se réjouir. On croyait pouvoir tout attendre des dieux à qui l'on immolait tout ce qu'on avait de plus cher[87].

[87] Voyez Garcil. liv. 1, chap. 2.

«Celui dont les rayons animent la nature, vit cet égarement; et il en eut pitié. Il n'est pas étonnant, dit-il, que des insensés soient méchants. Au lieu de les punir de s'égarer dans les ténèbres, envoyons-leur la vérité; ils marcheront à sa lumière. Il ne m'est pas plus difficile d'éclairer leur intelligence, que d'éclairer leurs yeux.

«Il dit, et il envoie dans ces climats sauvages deux de ses enfants bien aimés, le sage et vertueux Manco, et la belle Oello, sa

sœur et son épouse[88].

[88] Garcil. liv. 1, chap. 15.

«Mon cher Alonzo, tu verras l'endroit célèbre et révéré où ces enfants du soleil descendirent[89]. Les sauvages, répandus dans les forêts d'alentour, se rassemblèrent à leur voix. Manco apprit aux hommes à labourer la terre, à la semer, à diriger le cours des eaux, pour l'arroser; Oello instruisit les femmes à filer, à ourdir la laine, à se vêtir de ses tissus, à vaquer aux soins domestiques, à servir leurs époux avec un zèle tendre, à élever leurs enfants.

[89] Au bord d'un lac, à une lieue de Cusco. Les Incas y avaient élevé un magnifique temple au soleil.

«Au don des arts, ces fondateurs ajoutèrent le don des lois. Le culte du soleil leur père, ce culte inspiré par l'amour, fondé sur la reconnaissance, et qui ne coûta jamais un soupir à la nature, ni un murmure à la raison, fut la première de ces lois et l'ame de toutes les autres.

«L'homme, étonné de voir si près de lui des biens qu'il ne soupçonnait pas, l'abondance, la sûreté, la paix, crut recevoir un nouvel être. Ses besoins satisfaits, ses terreurs dissipées, le plaisir d'adorer un Dieu propice et bienfaisant, le devoir d'être juste et bon à son exemple, la facilité d'être heureux, la bienveillance mutuelle, le charme enfin d'une innocente et paisible société captiva tous les cœurs. Honteux d'avoir été aveugles et barbares, ces peuples se laissèrent apprivoiser sans peine, et ranger sous de douces lois. Cusco fut bâti par leurs mains; cent villages l'environnèrent[90]; et le vénérable Manco, avant d'aller se reposer auprès du soleil son père, vit prospérer, dès sa naissance, l'empire qu'il avait fondé.

[90] Treize à l'orient, trente à l'occident, vingt au nord, quarante au midi.

«Son fils aîné lui succéda[91]; et, comme lui, par la douceur, la persuasion, les bienfaits, il recula les bornes de cet heureux empire.

[91] SINCHI ROCA, deuxième roi. Il conquit vingt lieues de pays, au midi.

«Le fils aîné de celui-ci[92] fit respecter ses armes, mais ne les employa qu'à rendre ses voisins dociles, sans tremper ses mains dans leur sang.

[92] LOQUE YUPANGUÉ, troisième roi. Il conquit quarante lieues de pays du nord au sud, et vingt du couchant au levant.

«Son successeur[93] fut moins heureux: les peuples qu'il voulait gagner, le forcèrent de les combattre[94]. Le premier combat fut sanglant; mais le vainqueur, par ses vertus, se fit pardonner sa victoire. Sa valeur apprit à le craindre; sa clémence apprit à l'aimer.

[93] MAÏTA CAPAC, quatrième roi, conquit quatre-vingt-dix lieues d'étendue, dans le pays de CuntiSuyu.

[94] Ceux de Cayaviri, peuple du midi, qu'il assiégea sur leur montagne. Il combattit aussi les Collas au passage d'une rivière, les peuples des montagnes d'Atom-Puna, et ceux de Villiliet Dallia au couchant.

«Le fils aîné de ce héros[95] fit des conquêtes encore plus vastes, sans coûter ni larmes ni sang aux peuples qu'il soumit à son obéissance. Son retour à Cusco fut le plus beau triomphe: il y fut porté par des rois.

[95] CAPAC YUPANGUÉ, cinquième roi. Ses conquêtes s'étendaient, au couchant, jusqu'à la mer; au midi, jusqu'à Tatira, au pays des Charcas; à l'orient, jusqu'au pied de la montagne des Antis; au nord, jusqu'à Racuna, dans la province de Chinca.

«Les Incas qui lui succédèrent[96], furent obligés quelquefois, pour dompter des peuples féroces, d'assiéger leur retraite, de les y repousser, et de leur laisser prendre conseil de la nécessité. Mais nos armes les attendaient, et ne les provoquaient jamais. On avait pour maxime de les abandonner, plutôt que de les détruire, s'ils s'obstinaient à vivre indépendants et malheureux. La paix allait audevant d'eux, toujours indulgente et facile, et n'exigeant de ces rebelles que de consentir à goûter les biens qu'elle leur présentait[97]. Engager le monde à être heureux, fut le grand projet des Incas. Un culte pur, de sages lois, des lumières, des arts utiles, étaient les fruits de la victoire; et ils les laissaient aux vaincus. Telle

a été, pendant onze règnes, leur ambition et leur gloire; tel a été le prix de leurs travaux.

[96] ROCA, surnommé Pleure-sang, sixième roi.

Septième, VIRACOCHA.

Huitième, PACHACUTEC.

Neuvième, YUPANGUÉ.

Dixième, TUPAC YUPANGUÉ.

Onzième, HUAÏNA CAPAC, père des deux Incas régnants.

[97] Lorsque assiégés sur leurs montagnes, ils manquaient de subsistances, et qu'on trouvait leurs enfants et leurs femmes paissant l'herbe dans les vallons, on leur donnait à manger et on les renvoyait, chargés de vivres, vers leurs pères et leurs maris, avec des offres de paix et d'amitié.

«Cependant, plus on étendait les limites de cet empire, plus on avait de peine à les garder. Dans tout l'espace de dix règnes, l'empire n'avait vu qu'une seule révolte. Mon père, le plus doux et le plus juste des rois, en vit trois, l'une vers le nord, deux au midi de ces montagnes. Les extrémités reculées n'étaient plus sous les yeux du monarque. Vers l'aurore, on avait franchi la haute barrière des Andes[98]; on touchait à la mer dans les régions du couchant; vers le nord et vers le midi, nous avions encore à pénétrer dans des déserts profonds et vastes; enfin le plan de nos conquêtes embrassait tout ce continent. Il exigeait donc un partage entre les enfants du soleil.

[98] Montagnes des Antis, depuis appelées Cordelières.

«Mon père, après avoir conquis cette vaste et riche province, a cru que le moment du partage était arrivé. Il avait épousé deux femmes; l'une était Ocello, sa sœur; l'autre, Zulma, fille du sang des rois[99]. Huascar est l'aîné des enfants d'Ocello; il possède Cusco, la ville du soleil, et l'empire de nos ancêtres. Je suis l'aîné des enfants de Zulma; et la province de Quito, ce fruit des exploits de mon père, est l'héritage qu'en mourant il a bien voulu me laisser.

[99] Des caciques, rois de Quito, avant la conquête de cette province.

«A-t-il pu disposer d'un bien qu'il ne tenait que de lui-même, qu'il ne devait qu'à sa valeur? C'est ce qui cause, entre mon frère et moi,

des débats qui seront sanglants, s'il me force à prendre les armes.

«Mon frère est altier et superbe. Son froid orgueil ne sut jamais fléchir. Au mépris de la volonté et de la mémoire d'un père, il exige de moi que je descende du trône, et que je me range sous ses lois.

Tu sens si je puis m'y résoudre. J'aime mon frère; il m'est affreux de voir sa haine me poursuivre; il m'est affreux de penser que son peuple et le mien vont être ennemis l'un de l'autre, et qu'une guerre domestique, allumée entre les Incas, va les livrer, demi-vaincus, à un oppresseur étranger. Mais ce sceptre, ce diadème, c'est de mon père que je les tiens; laisserai-je outrager mon père? Il n'est rien qu'à titre d'égal, d'allié, de frère et d'ami, Huascar n'obtienne de moi. Veut-il étendre ses conquêtes par-delà les bords du Mauli[100], ou sur le fleuve des Couleuvres[101]? Je le seconderai. Lui reste-t-il encore, dans les vallées de Nasca ou de Pisco, quelques rebelles à dompter? Je l'aiderai à les soumettre. Ses ennemis seront les miens. Mais pourquoi demander ma honte? pourquoi vouloir déshonorer et avilir son propre sang? Les larmes que tu vois s'échapper de mes yeux, te sont témoins de ma franchise. Je désire ardemment la paix: je suis sensible, mais je suis violent, et je me crains sur-tout moi-même.

C'est à toi, cher Alonzo, à nous sauver des maux dont la discorde nous menace. Va trouver mon frère à Cusco. L'humanité réside dans ton cœur, et la vérité sur tes lèvres; ta candeur, ta droiture, l'ascendant naturel de ta raison sur nos esprits, enfin ce charme si touchant que tu donnes à tes paroles, le fléchira peut-être, et nous épargnera d'effroyables calamités. Ne crains pas d'exprimer trop vivement l'horreur que me fait la guerre civile; mais aussi ne crains pas d'assurer que jamais je n'abandonnerai mes droits. Mon père, en mourant, m'a placé sur un trône élevé, affermi par lui-même; il faut m'en arracher sanglant.»

[100] Rivière du Chili.

[101] Amarumayu, aujourd'hui la rivière de la Plata.

Alonzo sentit l'importance et les difficultés d'une telle entremise; mais il voulut bien s'en charger; et tout fut préparé dans peu pour

donner à son ambassade une splendeur qui répondît à la majesté des deux rois.

CHAPITRE XXVII.

Avant le départ d'Alonzo, l'Inca, pour entreprendre l'ouvrage de la paix sous de favorables auspices, fit un sacrifice au soleil. Les Mexicains y assistèrent, et Alonzo lui-même, sans y participer, crut pouvoir en être témoin.

Les vierges du soleil, admises dans son temple, servaient le pontife à l'autel. C'est de leur main qu'il recevait le pain du sacrifice[102]; et l'une d'elles, après l'offrande, le présentait aux Incas.

[102] Ce pain était fait du maïs le plus pur; on l'appelait Cancu.

La destinée de Cora voulut qu'en ce jour solennel ce fût elle qui dût remplir ce ministère si funeste.

Alonzo, par une faveur signalée du monarque, était placé auprès de lui. La prêtresse s'avance, un voile sur la tête, et le front couronné de fleurs. Ses yeux étaient baissés; mais ses longues paupières en laissaient échapper des feux étincelants. Ses belles mains tremblaient; ses lèvres palpitantes, son sein vivement agité, tout en elle exprimait l'émotion d'un cœur sensible. Heureuse si ses yeux timides ne s'étaient pas levés sur Alonzo! Un regard la perdit; ce regard imprudent lui fit voir le plus redoutable ennemi de son repos et de son innocence. Lui, dont la grâce et la beauté, chez les féroces anthropophages, avaient apprivoisé des cœurs nourris de sang, quel charme n'eut-il pas pour le cœur d'une vierge, simple, tendre, ingénue, et faite pour aimer! Ce sentiment, dont la nature avait mis dans son sein le germe dangereux, se développa tout-àcoup.

Dans le tressaillement que lui causa la vue de ce mortel, dont la parure relevait encore la beauté, peu s'en fallut que la corbeille d'or

qui contenait l'offrande, ne lui tombât des mains. Elle pâlit; son cœur suspendit tout-à-coup et redoubla ses battements. Un frisson rapide est suivi d'un feu brûlant qui coule dans ses veines; et sur ses genoux défaillants elle a peine à se soutenir.

Son ministère enfin rempli, elle retourne vers l'autel. Mais Alonzo, présent à ses esprits, semble l'être encore à ses yeux. Interdite et confuse de son égarement, elle jette un regard suppliant sur l'image du soleil; elle y croit voir les traits d'Alonzo. «O dieu! dit-elle, ô dieu! quel est donc ce délire? Quel trouble ce jeune étranger a mis dans tous mes sens! Je ne me connais plus.»

Le sacrifice et les vœux offerts, l'Inca, suivi de sa cour, se retire; les prêtresses sortent du temple, et rentrent dans l'asyle inviolable et saint qui les cache aux yeux des mortels.

Cette retraite, où Cora voyait couler ses jours dans une paisible langueur, fut pour elle, dès ce moment, une prison triste et funeste. Elle sentit tout le poids de sa chaîne; et son cœur ne désira plus qu'un désert et la liberté, un désert où fût Alonzo: car elle ne cessait de le voir, de l'entendre, de lui parler, et de se plaindre à lui, comme s'il eût été présent. «Quoi! jamais, jamais, disait-elle, l'illusion que je me fais ne sera qu'une illusion! Ah! pourquoi t'ai-je vu, charme unique de ma pensée, si je suis condamnée à ne plus te revoir? Ah! du moins, avant que j'expire, viens, mortel adoré, viens voir quel ravage ta seule vue a causé dans un faible cœur; viens voir et plaindre ta victime. Où es-tu? Daignes-tu penser à moi, à moi, qui brûle, qui me meurs du désir, sans espoir, de te revoir encore? Hélas! quel malheur est le mien! Je sens qu'un pouvoir invincible m'attire sans cesse vers lui; sans cesse mon ame s'élance hors de ces murs pour le chercher; dans la veille et dans le sommeil, lui seul occupe mes esprits; je donnerais ma vie pour qu'un seul de mes songes pût se réaliser, ne fût-ce qu'un moment, et ce moment, on l'a retranché de ma vie! O dieu bienfaisant! est-ce toi qui te plais à tyranniser, à déchirer un cœur sensible? Tu sais si le mien consentait au serment que t'a fait ma bouche. Un pouvoir absolu me l'a fait prononcer; mais la nature, par un cri qui a dû s'élever jusqu'à toi, réclamait dans le même instant contre une injuste violence. Mon cœur n'est

point parjure; il ne t'a rien promis. Rends-moi donc à moi-même. Hélas! suis-je digne de toi? Trop faible, trop fragile, un seul moment, tu le vois, un seul regard a mis le trouble dans mon ame: éperdue, insensée, je ne commande plus à ma raison ni à mes sens.» A ces mots, prosternée, et n'osant plus voir la lumière du dieu qu'elle croyait trahir, elle se couvrait le visage de son voile arrosé de larmes. Mais bientôt l'image d'Alonzo, et cette pensée accablante, Je ne le verrai plus, venant s'offrir encore, faisaient éclater sa douleur. «O mon père! qu'avez-vous fait? que vous avais-je fait moi-même? pourquoi me séparer de vous? pourquoi m'ensevelir vivante? Hélas! j'avais pour vous une vénération si tendre! je vous aurais servi avec tant de zèle et d'amour! O mon père! mon père! vous m'auriez vue auprès de vous, douce consolation de votre paisible vieillesse, partager avec mon époux le devoir de vous rendre heureux, élever sous vos yeux mes enfants… Mes enfants! ah! jamais je ne serai mère; jamais ce nom cher et sacré ne fera tressaillir mon cœur. Ce cœur est mort aux sentiments les plus tendres de la nature: ses penchants les plus doux, ses plaisirs les plus purs me sont interdits pour jamais.»

Cet éclair rapide et terrible, qui embrase à-la-fois deux cœurs faits l'un pour l'autre, avait frappé le jeune Espagnol au même instant que la jeune Indienne. Étonné de voir tant de charmes, ému, troublé jusqu'à l'ivresse, d'un seul regard qu'elle lui avait lancé, il la suivit des yeux au fond du temple; et il fut jaloux du dieu même, en le lui voyant adorer.

Sombre, inquiet, impatient, il retourne au palais. Tout l'afflige et le gêne. Il veut rappeler sa raison; il se reproche un fol amour, il le condamne, il en rougit, il veut l'éloigner de son ame; vain reproche! efforts inutiles! La réflexion même enfonce plus avant le trait qu'il voudrait arracher. Un seul regard de la prêtresse a versé au fond de son cœur le doux poison de l'espérance. Des vœux indissolubles, un étroit esclavage, une garde incorruptible et vigilante, une austère prison, il voit tout; et il espère encore. Il lui est impossible de posséder Cora, mais non pas d'avoir su lui plaire; «et si elle

m'aimait, disait-il, si elle savait que je l'adore, si nos deux cœurs, d'intelligence, pouvaient du moins s'entendre, ah! ce serait assez.»

En s'occupant d'elle sans cesse, il passait mille fois le jour par tous les mouvements d'un amour insensé. Mais la réflexion le rendait à lui-même, et lui faisait voir l'imprudence et la honte de ses transports. Chez un peuple religieux, oser tenter un sacrilége! dans la cour d'un roi, son ami, violer les droits de l'hospitalité! exposer celle qu'il aimait à l'opprobre et au châtiment qui suivraient l'oubli de ses vœux! C'étaient autant de crimes, dont un seul eût suffi pour faire frémir Alonzo. Il en repoussait la pensée, bien résolu de n'y jamais céder.

Seulement il allait nourrir sa profonde mélancolie autour de l'enceinte sacrée des murs qui renfermaient Cora. L'enclos des vierges était vaste et ombragé d'arbres épais, dont la hauteur majestueuse ajoutait encore au respect qu'imprimait ce lieu révéré. «C'est sous ces arbres, disait-il, que la belle Cora respire. Hélas! peut-être elle y gémit; et ni la pitié ni l'amour n'oseraient entreprendre de rompre ses liens. Ces murs sont élevés, la garde en est sévère; mais combien ne serait-il pas facile encore d'y pénétrer!

C'est leur sainteté qui les garde. L'amour, cet ennemi fatal du repos et de l'innocence, l'amour, tel que je le ressens, n'est point connu de ce bon peuple. L'habitude à ne désirer que les biens qui lui sont permis, le fait marcher paisiblement dans l'étroit sentier de ses lois. Qu'elles sont cruelles ces lois, dont la jeunesse, la beauté, l'amour, sont les tristes victimes! Qu'il serait juste et généreux de les en affranchir!» A ces mots, effrayé lui-même de sentir tressaillir son cœur, il s'éloignait. «Ah! disait-il, est-ce là ce projet si beau, si magnanime qui m'avait amené à la cour de l'Inca! Je m'annonce comme un héros; je finis par être un perfide, un faible et lâche ravisseur!»

Ainsi sa vertu combattait; elle aurait triomphé sans doute. Mais un événement terrible la fit céder aux mouvements de la crainte et de la pitié.

CHAPITRE XXVIII.

Heureux les peuples qui cultivent les vallées et les collines que la mer forma dans son sein, des sables que roulent ses flots, et des dépouilles de la terre! Le pasteur y conduit ses troupeaux sans alarmes; le laboureur y sème et y moissonne en paix. Mais malheur aux peuples voisins de ces montagnes sourcilleuses, dont le pied n'a jamais trempé dans l'océan, et dont la cime s'élève au-dessus des nues! Ce sont des soupiraux que le feu souterrain s'est ouverts, en brisant la voûte des fournaises profondes où sans cesse il bouillonne. Il a formé ces monts, des rochers calcinés, des métaux brûlants et liquides, des flots de cendres et de bitume qu'il lançait, et qui, dans leur chûte, s'accumulaient aux bords de ces gouffres ouverts. Malheur aux peuples que la fertilité de ce terrain perfide attache: les fleurs, les fruits, et les moissons, couvrent l'abyme sous leurs pas. Ces germes de fécondité, dont la terre est pénétrée, sont les exhalaisons du feu qui la dévore; sa richesse, en croissant, présage sa ruine; et c'est au sein de l'abondance qu'on lui voit engloutir ses heureux possesseurs. Tel est le climat de Quito. La ville est dominée par un volcan terrible[103], qui, par de fréquentes secousses, en ébranle les fondements.

[103] Pichencha. Voyez la description de ce volcan et ses éruptions en 1538 et 1660, dans la relation du voyage de M. de La Condamine.

Un jour que le peuple indien, répandu dans les campagnes, labourait, semait, moissonnait (car ce riche vallon présente tous ces travaux à-la-fois), et que les filles du soleil, dans l'intérieur de leur palais, étaient occupées les unes à filer, les autres à ourdir les précieux tissus de laine dont le pontife et le roi sont vêtus, un bruit sourd se fait d'abord entendre dans les entrailles du volcan. Ce bruit, semblable à celui de la mer, lorsqu'elle conçoit les tempêtes,

s'accroît, et se change bientôt en un mugissement profond. La terre tremble, le ciel gronde, de noires vapeurs l'enveloppent; le temple et les palais chancellent et menacent de s'écrouler; la montagne s'ébranle, et sa cime entr'ouverte vomit, avec les vents enfermés dans son sein, des flots de bitume liquide, et des tourbillons de fumée qui rougissent, s'enflamment, et lancent dans les airs des éclats de rocher brûlants qu'ils ont détachés de l'abyme: superbe et terrible spectacle, de voir des rivières de feu bondir à flots étincelants à travers des monceaux de neige, et s'y creuser un lit vaste et profond.

Dans les murs, hors des murs, la désolation, l'épouvante, le vertige de la terreur se répandent en un instant. Le laboureur regarde, et reste immobile. Il n'oserait entamer la terre, qu'il sent comme une mer flottante sous ses pas. Parmi les prêtres du soleil, les uns, tremblants, s'élancent hors du temple; les autres, consternés, embrassent l'autel de leur dieu. Les vierges éperdues sortent de leur palais, dont les toits menacent de fondre sur leur tête; et courant dans leur vaste enclos, pâles, échevelées, elles tendent leurs mains timides vers ces murs, d'où la pitié même n'ose approcher pour les secourir.

Alonzo seul, errant autour de cette enceinte, entend leurs gémissantes voix. Dans le péril de la nature entière, il ne tremble que pour Cora. Les cris qui frappent son oreille, lui semblent tous être les siens. Égaré, frémissant de douleur et de crainte, et pareil au ramier qui, d'une aile tremblante, voltige autour de la prison où sa palombe est enfermée, ou tel plutôt que la lionne, qui, l'œil étincelant, rode et rugit autour du piége où l'on a pris ses lionceaux, il cherche, il découvre à la fin des ruines et un passage. Transporté de joie, il gravit sur les débris du mur sacré. Il pénètre dans cet asyle où nul mortel jamais n'osa pénétrer avant lui. Les ténèbres le favorisent: un jour lugubre et sombre a fait place à la nuit; la nuit n'est éclairée que par les flots brûlants qui s'élancent de la montagne; et cette effroyable lueur, pareille à celle de l'Érèbe, ne laisse voir aux yeux d'Alonzo que comme des ombres errantes, les

prêtresses du soleil courant épouvantées dans les jardins de leur palais.

D'autres yeux que ceux d'un amant, tout occupé de l'objet qu'il adore, chercheraient inutilement l'une d'elles entre ses compagnes. Alonzo reconnaît Cora. Les grâces qui, dans la frayeur, ne l'ont point abandonnée, la lui font distinguer de loin. Il retient ses premiers transports, de peur de l'effrayer. Il s'avance d'un pas timide. «Cora, lui dit-il de la voix la plus douce et la plus sensible, un dieu veille sur vous, et prend soin de vos jours.» A cette voix, Cora s'arrête intimidée; et à l'instant la terre tremble, et la montagne, avec éclat, jette une colonne de flamme, qui, dans l'obscurité, découvre aux yeux de la prêtresse son amant qui lui tend les bras.

Soit par un mouvement soudain de frayeur, ou d'amour peutêtre, Cora se précipite et tombe évanouie dans les bras du jeune Espagnol. Il la soutient, il la ranime, il tâche de la rassurer. «O toi, lui dit-il, que j'adore depuis que je t'ai vue au temple, toi pour qui seule je respire, Cora, ne crains rien: c'est le ciel qui t'envoie un libérateur. Suis-moi, quittons ces lieux funestes; laisse-moi te sauver.»

Cora, faible et tremblante, s'abandonne à son guide. Il l'emporte; il franchit sans peine les débris du mur écroulé; et le premier asyle qui s'offre à sa pensée, est le vallon de Capana, du cacique ami de Las-Casas.

«Où vais-je? lui disait Cora; la frayeur a troublé mes sens. Je ne sais où je suis; je ne sais même qui vous êtes. Que vais-je devenir? Ayez pitié de moi. Vous êtes, lui dit Alonzo, sous la garde d'un homme qui ne respire que pour vous. Je vous mène loin du danger, dans un vallon délicieux, où un cacique, mon ami, vous recevra comme sa fille. Ah! cachez-moi plutôt, dit-elle, à tous les yeux. Il y va de ma vie; il y va de bien plus! Vous ignorez la loi terrible que vous me faites violer. Me voilà hors de cet asyle où je devais vivre cachée. Je suis les pas d'un homme, après avoir fait vœu de fuir à jamais tous les hommes. A quoi m'exposez-vous? Ah! plutôt laissezmoi périr.»

«Cora, lui répondit Alonzo, le premier devoir de tout ce qui respire, comme son premier sentiment, c'est le soin de sa propre vie; et dans un moment où la mort vous environne et vous poursuit, il n'est ni vœu ni loi qui doivent s'opposer à ce mouvement invincible. Quand tout sera calmé, demain avant l'aurore, vous rentrerez dans ces jardins, où vos compagnes effrayées auront passé la nuit sans doute, et le secret de votre absence ne sera jamais révélé.»

Cependant le péril s'éloigne, et bientôt il s'évanouit. La terre cesse de trembler, le volcan cesse de mugir. Cette pyramide de feu, qui s'élevait du sommet de la montagne, s'émousse, et paraît s'enfoncer; les noirs tourbillons de fumée dont le ciel était obscurci, commencent à se dissiper; un vent d'orient les chasse vers la mer. L'azur du ciel s'épure; et l'astre de la nuit, par sa consolante clarté, semble vouloir rassurer la nature.

Dans ce moment Alonzo et sa tendre compagne traversaient de belles prairies, où mille arbres, chargés de fruits, entrelaçaient leurs rameaux. Les rayons tremblants de la lune, perçant à travers le feuillage, allaient nuancer la verdure, et se jouer parmi les fleurs. «Respire, ma chère Cora, dit Alonzo, repose-toi; et dans le calme et le silence d'une nuit qui nous favorise, laisse-moi me rassasier du plaisir de te voir, d'adorer tant de charmes.» Cora consentit à s'asseoir. Le premier soin d'Alonzo fut de cueillir des fruits, qu'il vint lui présenter. Le doux savinte, le palta, d'un goût plus ravissant encore, la moelle du coco, son jus délicieux, furent les mets de ce festin.

Assis aux genoux de Cora, Alonzo respirait à peine. Le trouble, le saisissement, cette timidité craintive qui se mêle aux brûlants désirs, et dont l'émotion redouble aux approches du bonheur, suspendent son impatience. Il presse de ses mains, il presse de ses lèvres la main tremblante de Cora. «Fille du ciel, lui disait-il, est-ce bien toi que je possède, toi, l'unique objet de mes vœux? Qui m'eût dit qu'un prodige, dont frémit la nature, s'opérait pour nous réunir, et qu'il n'épouvantait la terre, que pour nous dérober aux yeux de tes surveillants inhumains? Un dieu, sans doute, a pris pitié de mon

amour et de mes peines. Ah! profitons de sa faveur. Nous voilà seuls, libres, cachés, et n'ayant pour témoin que la nuit, qui jamais n'a trahi les tendres amants. Mais ces instants si précieux s'écoulent; n'en perdons plus aucun; et, si je te suis cher, dis-moi: Sois heureux.»—«Sois heureux, dit-elle;» et dès ce moment un nuage se répandit sur l'avenir.

A leurs yeux tout s'est embelli. La sérénité de la nuit, la solitude, le silence, ont pour eux un charme nouveau. «Ah! le délicieux séjour! disait Cora. Pourquoi chercher un autre asyle? Cette douce clarté, ces gazons, ces feuillages semblent nous dire: Où voulez-vous aller? où serez-vous mieux qu'avec nous?—O douce moitié de moimême, dit Alonzo, ainsi toujours puisses-tu te plaire avec moi! Passons ici la nuit, et demain, dès l'aube du jour, fuyons des lieux où tu es captive. Allons… que sais-je? où le destin nous conduira: fût-ce dans un antre sauvage, j'y vivrais heureux avec toi; et sans toi, je ne puis plus vivre.» Ainsi le fol amour faisait parler Alonzo. Cora le pressait dans ses bras; et il sentait tomber sur son visage les larmes qu'elle répandait. «Mon ami, lui dit-elle, éloignons, s'il se peut, une prévoyance affligeante. Je suis avec toi, je ne veux m'occuper que de toi: qu'un bien que j'ai tant souhaité ne soit pas mêlé d'amertume.»

Cora ne savait point encore le nom de son amant; elle désira de l'entendre, et le répéta mille fois. Il lui parla de sa patrie; il voulut même la flatter de la douce espérance de voir un jour avec lui les bords où il était né. Elle n'en fut point abusée, et la réflexion cruelle écarta cette illusion. Enfin le sommeil suspendit tous les mouvements de leurs ames; et Cora, aux genoux d'Alonzo, reposa jusqu'au point du jour.

L'étoile du matin éveille les oiseaux, et leurs chants éveillent Alonzo. Il ouvre les yeux, et il voit Cora: ses yeux parcourent mille charmes. Il approche sa bouche de ses lèvres de rose, où la volupté lui sourit; il en respire l'haleine; et son ame y vole, attirée par un souffle délicieux.

Il ouvre les yeux et il voit Cora: ses yeux parcourent mille charmes.

Cora s'éveille; un tressaillement mêlé de frayeur et de joie, exprime son émotion. «Est-ce toi, dit-elle en se précipitant dans le sein d'Alonzo, est-ce bien toi que je retrouve? Ah! je croyais t'avoir perdu.—Non, Cora, non; rassure-toi: nous ne serons point séparés.

Mais hâtons-nous: voici l'aube du jour; gagnons le détroit des montagnes; et sur la foi de la nature, qui nourrit les hôtes des bois, cherche avec moi, dans leur asyle, la liberté, le premier des biens après l'amour. Ah! cher Alonzo, dit Cora, que ne suis-je seule, avec toi, dans ces forêts où elle règne! que n'y suis-je inconnue au reste des mortels!» Et, en disant ces mots, elle le serrait dans ses bras; elle frémissait; et ses yeux, attachés sur ceux de son amant, se remplissaient de larmes. Attendri et troublé lui-même, il la presse de lui avouer ce qui l'agite. Elle s'effraie du coup qu'elle va lui porter; mais elle cède enfin. «Délices de mon ame, mon cher Alonzo, lui ditelle, mon cœur est déchiré; le tien va l'être; mais pardonne: un devoir sacré, un devoir terrible m'enchaîne; il va m'arracher de tes bras; voici le moment d'un éternel adieu.—Ah! que dis-tu, cruelle?— Écoute. En me dévouant aux autels, mes parents répondirent de ma fidélité. Le sang d'un père, d'une mère, est garant des vœux que j'ai faits. Fugitive et parjure, je les livrerais au supplice; mon crime retomberait sur eux; et ils en porteraient la peine: telle est la rigueur de la loi.—O dieu!—Tu frémis!—Malheureuse! qu'as-tu fait? qu'ai-je fait moi-même? s'écria-t-il en se précipitant le front contre terre et en s'arrachant les cheveux. Que ne m'as-tu montré plutôt l'abyme où je tombais, où je t'entraînais?… Laisse-moi. Ton amour, ta douleur, tes larmes redoublent l'horreur où je suis… Que veux-tu? que je te remmène? Tu veux ma mort… Te retenir! oh! non; je ne suis pas un monstre. Je ne souffrirai pas que tu sois parricide; je ne le souffrirai jamais. Va-t'en… cruelle!… Arrête! arrête! Je me meurs.»

Cora, désolée et tremblante, était revenue à ses cris, était tombée à ses genoux. Il la regarde, il la prend dans ses bras, l'arrose de ses pleurs, se sent baigner des siens, lui jure un éternel amour; et, dans l'excès de sa douleur, il s'égare et s'oublie encore. «Que faisons-nous? lui dit Cora; voilà le jour. Si nous tardons, il ne sera plus temps; et mon père, et ma mère, et leurs enfants, tout va périr. Je vois le bûcher qui s'allume. Viens donc, viens, lui dit-il, avec le regard sombre, l'air farouche du désespoir;» et tout-à-coup s'armant de force, de cette force courageuse qui foule aux pieds les passions, il la prend par la main, et, marchant à grands pas, la

remmène, pâle et tremblante, jusqu'au pied de ces murs, où elle va cacher son crime, son amour, et son désespoir.

L'amour, dans l'ame de Cora, n'avait été, jusqu'au moment de cette fatale entrevue, qu'un délire confus et vague: elle n'en connut bien la force que lorsqu'elle en eut possédé l'objet. Sa passion, en s'éclairant, a redoublé de violence; le souvenir et le regret en sont devenus l'aliment; et le désir, sans espérance, toujours trompé, toujours plus vif et plus ardent, en est le supplice éternel.

Mais du moins elle est sans remords et sans frayeur sur l'avenir. Le désordre de cette nuit, où chacun tremblait pour soi-même, n'a pas permis qu'on s'aperçût de sa fuite et de son absence; elle ne se fait point un crime de l'égarement où l'ont précipitée le péril, la crainte, et l'amour. Sa plus cruelle prévoyance est d'être en proie au feu qui la consume, et qui ne s'éteindra jamais. Son amant est plus malheureux. Il éprouve les mêmes peines, et de plus un souci rongeur qui le tourmente incessamment.

Oh! sous combien de formes, diversement cruelles, l'amour tyrannise les cœurs! Alonzo tremblait d'être père; et ce danger, que l'innocence dérobait aux yeux de Cora, était sans cesse présent aux siens. Il se rappelle avec effroi les plus doux moments de sa vie, et déteste l'amour qui l'a rendu heureux. Cependant il fallut partir. Mais, en s'éloignant de Quito, il sentit son ame, attirée par une force irrésistible, se détacher de lui, s'élancer vers les murs où son amante gémissait.

CHAPITRE XXIX.

Une route immense, applanie d'une extrémité de l'empire à l'autre, à travers les hautes montagnes, les abymes, et les torrents[104], monument prodigieux de la grandeur des Incas; et sur cette route les arsenaux distribués par intervalles, les hospices sans cesse ouverts aux voyageurs, les forteresses et les temples, les canaux qui dans les campagnes faisaient circuler l'eau des fleuves[105], les merveilles de la nature, dans des climats nouveaux pour le jeune Espagnol, rien ne put effacer Cora de sa pensée. Son image, qu'en soupirant il écartait toujours, lui revenait sans cesse.

[104] La route de Quito à Cusco, et par-delà, avait cinq cents lieues. Elle fut faite sous le règne de Huaïna Capac. Sous le même règne, l'on en fit une de la même étendue dans le plat pays, et plusieurs autres qui traversaient l'empire du centre aux extrémités. C'étaient des levées de terre de quarante pieds de largeur, qui mettaient les vallées au niveau des collines.

[105] Un de ces canaux, dans les plaines du couchant, avait cent cinquante lieues de longueur du sud au nord.

Enfin l'impérieuse voix de l'amitié se fit entendre. Alonzo tout-àcoup sortit comme d'un long délire; et, en approchant de Cusco, les soins dont il était chargé commencèrent à l'occuper. Il se fit précéder par trois caciques, et s'annonça au monarque en ces mots: «Un homme né par-delà les mers, et vers les bords d'où le soleil se lève, un Castillan, reçu dans la cour de ton frère, vient te voir, et t'apporte des paroles de paix.»

La renommée des Castillans était parvenue à Cusco; et ce nom, devenu terrible, frappa le superbe Huascar. Il envoya au-devant d'Alonzo une partie de sa cour, et le reçut lui-même dans toute la splendeur de la majesté des Incas, élevé sur un trône d'or, dans un palais dont les lambris, les murs mêmes, étaient revêtus de ce métal

éblouissant, ayant à ses pieds vingt caciques, et à ses côtés vingt tribus d'Incas descendants de Manco.

Alonzo, qui jamais n'avait rien vu de si auguste, en fut saisi d'étonnement. Le prince, avec une bonté majestueuse, lui fit signe de s'approcher, et de parler.

«Inca, lui dit Alonzo, c'est un présent du ciel, qu'un frère vertueux et tendre; c'est un don du ciel, non moins rare, qu'un véritable ami. Réjouis-toi: le ciel t'a donné l'un et l'autre dans le roi de Quito. Son ame m'est connue, et mon cœur, qui jamais n'a su mentir, répond du sien. Vous êtes tous deux menacés par un ennemi redoutable, qui s'avance de l'orient. Vous avez besoin l'un de l'autre pour résister à ses efforts. Réunis, vous pouvez le vaincre; divisés, vous êtes perdus. L'Inca ton frère demande ton secours, et t'offre celui de ses armes. Tel est l'objet de l'ambassade dont il m'honore auprès de toi.»

«J'ai bien voulu t'entendre, lui répondit l'Inca, quoique envoyé par un rebelle; mais, avant tout, n'es-tu pas toi-même un de ces étrangers nouvellement descendus sur nos bords, et qui, dans les campagnes d'Acatamès, ont semé l'épouvante? Tu te dis Castillan; c'est, je crois, le nom qu'on leur donne; ils viennent, dit-on, comme toi, des bords de l'orient.»

«Oui, je suis du nombre de ceux que l'on a vus sur ce rivage, lui dit Alonzo. Je cherchais la gloire sur leurs pas: je n'ai vu que le crime; et je les ai abandonnés. J'aime la bonne foi, j'honore la droiture et la grandeur d'ame; et c'est ce qui m'attache à ce généreux prince qui te parle ici par ma voix. Tous les deux nés du même sang, enfants du même père, aimez-vous, et vivez en paix; vous serez heureux et puissants.»

«S'il se souvient, reprit Huascar, de quel père nous sommes nés, qu'il se rappelle aussi quels rangs nous a marqués la naissance. Le soleil n'a donné qu'un maître à cet empire; le règne de son fils doit être l'image du sien. Il n'a point d'égal dans le ciel; et je n'en veux point sur la terre.»

«Inca, lui répondit Alonzo, je veux bien parler ton langage, et supposer ce que tu crois. N'aimes-tu pas assez les hommes, et n'estimes-tu pas assez les lois de tes aïeux, pour souhaiter que l'univers fût rangé sous ces lois paisibles?»

«Sans doute, répondit l'Inca, je le souhaite, et je l'espère: c'est la volonté du soleil; les temps la verront s'accomplir.»

«Et alors, poursuivit Alonzo, le monde n'aura-t-il qu'un roi, comme il n'a qu'un soleil? La sagesse d'un homme étendra-t-elle ses regards aussi loin que l'astre du jour étend l'éclat de sa lumière? Tu n'oserais le croire; ose donc avouer que ta vigilance a des bornes, que ta puissance en doit avoir, et qu'il serait injuste de vouloir envahir ce que l'on ne peut gouverner.»

«Étranger, quelle est ton audace, interrompit l'Inca, de venir me marquer les limites de ma puissance?»

«Ce n'est pas moi, lui dit Alonzo, c'est la nature qui les a marquées; je ne dis que ce qu'elle a fait. Je t'avertis que tu es homme par ta faiblesse, quand tu veux être un dieu par ton ambition.»

«Je suis homme, mais je suis roi, reprit l'Inca; et ce nom seul t'apprend le respect qui m'est dû.»

«Sache, lui dit Alonzo, que mes pareils parlent aux rois sans les flatter, et les respectent sans les craindre. Il ne tient qu'à toi de me voir à tes pieds; mais commence par être juste, et par honorer la mémoire d'un père qui fut roi lui-même. C'est de sa main que ton frère a reçu le sceptre que tu lui disputes; et en désavouant le don qu'il lui a fait, tu l'insultes dans son tombeau, et tu foules aux pieds sa cendre.»

L'Inca frémit; mais son orgueil l'emporta sur sa piété. «Mon père, dit-il, a vieilli; et dans cet état de défaillance, l'homme est crédule et facile à tromper. Il a cédé aux artifices d'une femme ambitieuse; et pour le fils de l'étrangère, il a déshérité celui que les sages lois de Manco lui avaient donné pour successeur.»

«Il t'a remis, lui dit Alonzo, tout ce qu'il avait reçu: il n'a disposé que de sa conquête.»

«Si, comme lui, chacun de nos rois, dit le prince, eût dissipé ce qu'il avait acquis, où serait leur empire? L'unité de pouvoir en fait la grandeur et la force; et mon père, qui, sans partage, l'avait reçu de ses aïeux, devait le laisser sans partage. On l'a surpris; et sans cesser d'honorer ses vertus, de révérer sa cendre, je puis désavouer un moment de faiblesse, qui lui fit oublier mes droits.»

«Apprends, lui dit Alonzo, qu'au nord de ces climats, un empire aussi vaste, plus puissant que le tien, vient d'être ravagé, détruit, inondé du sang de ses peuples, pour avoir été divisé. Ses princes, à peine échappés au glaive du vainqueur, se sont réfugiés dans la cour de l'Inca ton frère; et leur malheur atteste ce que je te prédis. Un ennemi terrible va vous trouver tous deux affaiblis, défaits l'un par l'autre. Ah! songe à sauver ton empire; et quand la foudre est sur ta tête et l'abyme à tes pieds, tremble, malheureux prince, tremble toimême, au lieu de menacer.»

Toute la cour qui l'entendait, parut troublée à ce langage; l'Inca lui-même en fut ému. Mais dissimulant sa frayeur sous les dehors de la fierté: «C'est, dit-il, à l'usurpateur à prévenir les maux dont il serait la cause, et à se ranger sous mes lois.»

«Ne l'espère pas, dit Alonzo, consterné de sa résistance. Ataliba, couronné par un père expirant, ne croira jamais avoir usurpé ce qu'il a reçu de son père. Il regarde sa volonté comme une inviolable loi. Il faut, pour le chasser du trône, l'en arracher sanglant: je te répète ses paroles. C'est à toi de voir si tu veux te baigner dans le sang d'un frère vertueux, qui t'aime, qui fait sa gloire et son bonheur d'être ton allié, ton ami le plus tendre; qui te conjure, au nom d'un père, de ne pas révoquer les dons qu'il lui a faits; qui te conjure, au nom de son peuple et du tien, de ne pas le forcer à une guerre impie. Dispose de lui, de ses armes: il ne craint point la guerre; il a sous ses drapeaux un peuple fidèle et vaillant; il a vingt rois autour de lui, tous aussi dévoués que moi. Tout ce qu'il craint, c'est de verser le sang de ses amis, de sa famille, de ces peuples, qui, sujets de vos pères, nés sous les mêmes lois, sont ses enfants comme les tiens. Consulte, comme lui, ton cœur; il doit être bon, magnanime, sensible au moins à la pitié. Il ne s'agit pas de régler entre nous tes

droits et les siens; de pareils débats n'ont jamais été vidés que par les armes. Il s'agit de savoir lequel des deux perd le plus à céder. Il y va, pour lui, d'un royaume; pour toi, d'une province inutile à ta gloire, à ta puissance, à ta grandeur. Il défend, avec sa couronne, l'honneur de son père et le sien; et à ces intérêts qu'opposes-tu? l'orgueil de ne point souffrir de partage! Vois si cela mérite d'allumer entre vous les feux d'une guerre civile, au moment qu'un péril commun vous presse de vous réunir.»

Le fier Huascar n'en voulut pas entendre davantage. Mais la franchise courageuse, la noble fermeté d'Alonzo, laissèrent dans tous les esprits l'étonnement et le respect; l'Inca lui-même en fut saisi.

«Je ne sais, disait-il, mais cette race d'hommes a quelque chose d'imposant et de supérieur à nous. Je veux gagner la bienveillance et l'estime de celui-ci. Qu'on lui rende tous les honneurs qui sont dus à son ministère et à la dignité dont il est revêtu.»

Il l'admit à sa table; et prenant avec lui le ton de l'amitié: «Castillan, lui dit-il, je veux bien accéder, autant que je le puis sans honte, à la paix que tu me proposes. Qu'Ataliba garde son apanage; qu'il règne à Quito, j'y consens, mais tributaire de l'empire, et obligé de rendre hommage à l'aîné des fils du soleil.»

Quoiqu'il y eût peu d'apparence qu'Ataliba subît cette condition, Alonzo ne crut pas devoir la rejeter sans l'en instruire; et, en attendant sa réponse, il eut le temps de voir tout ce qui décorait, et au-dedans et au-dehors, la florissante ville du soleil.

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